Lassitude publicitaire, quête d'authenticité... les conversations en ligne en révèlent beaucoup sur ce que les consommateurs attendent des marques. Mais comment les interpréter ? Dans cet entretien offert par Com'On LeadersAntonella Szitas décrypte les tendances clés de notre étude sur les Tendances Social Media 2026.

Antonella Szitas

Experte marketing digital et nouvelles technologies

“La donnée n’a de sens que si elle éclaire la relation.” Depuis plus de 25 ans, Antonella Szitas accompagne marques et entreprises, avec 6 ans de spécialisation dans le marketing digital et les nouvelles technologies. Profil hybride, à la fois stratège et créative, son regard combine chiffres et ressentis”

1. Notre Baromètre des Tendances Social Media 2026 révèle que les marques initient moins de 1% des conversations en ligne liées à leur sujet et que par conséquent 99% des conversations les concernant se déroulent sans leur présence, comment faire pour garder un lien avec ces internautes, les rassurer ?

Ce chiffre révèle un basculement profond. Nous avons quitté l’ère des discours maîtrisés pour entrer dans celle des conversations libres où les internautes se parlent, se conseillent, se contredisent et se recommandent sans attendre la parole officielle. Le récit de marque est devenu collectif. Ce n’est pas une perte de contrôle, c’est une invitation à changer de posture. Garder le lien exige désormais d’écouter plus que de parler. Il ne s’agit plus de diffuser un message mais de capter, comprendre et répondre aux ressentis. Les outils de social listening deviennent ici de véritables capteurs d’émotions : ils permettent d’identifier les signaux faibles, de comprendre les attentes et d’ajuster non seulement la parole et parfois même l’offre. Les formats participatifs jouent ici un rôle central : hashtags, défis créatifs et contenu généré par les utilisateurs (UGC) permettent aux marques de nourrir la conversation sans l’imposer. Être présent, c’est savoir où et quand s’inviter, avec tact et pertinence. Certaines marques comme Leroy Merlin ou Decathlon ont su le faire en créant des communautés d’échanges où les clients deviennent acteurs et contributeurs. La communication n’est plus un monologue, elle est relation. La vraie proximité se construit désormais dans le fil, pas dans le spot TV.

2. Dans le rapport, on découvre que 79% des conversations font état de déception face aux produits et que les clients frustrés s’activent à décourager les autres. À votre avis, quelle est la meilleure façon de faire face à cette tendance ? Faut-il répondre en ligne directement au client mécontent en misant sur la pédagogie, le factuel, l’humour… pour répondre ?

La déception n’est pas toujours liée à un produit défectueux : elle naît du décalage entre promesse et expérience vécue. Dans un monde saturé de messages, la moindre dissonance s’amplifie et cela se traduit par une explosion des appels au boycott, qui ont atteint 95% en 2025. La réponse n’est pas dans la défense mais dans la réparation. Il s’agit d’abord d’écouter et de reconnaître : “Nous comprenons votre déception” a plus de poids que tout formulaire de politesse. Puis vient la pédagogie et le factuel pour expliquer le pourquoi, le comment et les mesures correctives. Les marques qui parviennent à parler vrai désarment la colère et peuvent transformer un client mécontent en ambassadeur. Décathlon illustre cette démarche : intégrer les retours clients dans la R&D transforme les plaintes en innovation. Quant au ton, l’humour peut être un formidable outil de désescalade à condition qu’il soit dans l’ADN de la marque. Burger King le fait avec brio, mais tout le monde ne s’appelle pas Burger King.

3. Plus de la moitié (54%) des conversations en ligne liées à la publicité expriment la colère, ce qui explique l’essor des bloqueurs publicitaires. Les experts Brandwatch expliquent que les consommateurs réclament des campagnes créatives et pertinentes qui ajoutent de la valeur au lieu d’interrompre leur expérience. Avez-vous constaté cette lassitude publicitaire et avez-vous fait évoluer vos publicités en ligne, sur les réseaux sociaux pour y répondre ? Si oui, comment (changement de ton, ciblage plus pointu …)

Cette colère traduit une fatigue collective. Nous assistons à un rejet des formats interruptifs, des pièges à clics et des promesses creuses. Aujourd’hui, on veut du sens, pas du bruit. Les marques qui personnalisent finement leur ciblage et adaptent leur ton à chaque plateforme obtiennent des taux d’engagement bien supérieurs. En clair : moins de volume, plus de valeur. Les consommateurs ne rejettent pas la publicité, ils rejettent l’interruption. Ce qu’ils attendent désormais, c’est une communication qui leur apporte quelque chose : une idée, une émotion, un service. La publicité efficace n’impose plus, elle s’intègre. Elle prolonge une conversation au lieu de la couper. Des marques comme Patagonia, Leroy Merlin ou IKEA l’ont compris : elles parlent de valeurs et d’engagements avant de parler de produits. Patagonia défend la planète avant de vendre des vestes. Leroy Merlin célèbre la passion du faire, non la perceuse. IKEA évoque la liberté et la diversité avant le mobilier. Aujourd’hui, la publicité efficace est conversationnelle, non intrusive et alignée sur les préoccupations réelles des publics.

4. Quels sont les codes à connaître sur les principales plateformes pour capter l’attention de consommateurs en quête d’authenticité ? En quoi l'intelligence artificielle bouleverse la communication et la perception des marques sur les médias sociaux ?

Chaque plateforme a son propre rythme, sa propre grammaire et son rapport à la sincérité. Sur TikTok, l’authenticité prime : les utilisateurs recherchent le vrai, le spontané, l’imparfait. Sur Instagram, la quête de perfection s’efface au profit de la proximité : les visuels naturels, les coulisses et les témoignages réels remplacent les campagnes trop lisses. Sur LinkedIn, la crédibilité passe par la valeur : on attend du fond, des expériences vécues, pas de la promotion.  

On pense souvent que technologie et authenticité s’opposent. Je crois au contraire qu’elles se complètent si l’on sait garder la juste mesure. L’intelligence artificielle peut être une alliée précieuse : elle aide à comprendre, à analyser, à anticiper. Mais elle n’a de sens que si elle éclaire la dimension humaine du message. Les marques doivent apprendre à s’en servir non pour produire plus mais pour comprendre mieux. L’IA peut révéler ce qui touche, ce qui résonne mais la création, la nuance, la chaleur, cela reste une affaire d’humains. La communication de demain reposera sur cet équilibre : la donnée comme boussole et l’humain comme cap. Ce n’est pas l’IA qui déshumanise les marques, c’est la manière dont elles l’emploient.

5. Le rapport révèle une IA anxiogène, mais vécue très différemment selon les secteurs. Comment ressentez-vous la perception de l’IA par les consommateurs ? Avez-vous trouvé des éléments pour valoriser l’IA ?

Tout dépend de l’histoire que l’on raconte autour d’elle. Les secteurs de l’énergie et de l’automobile tirent leur épingle du jeu lorsqu’ils associent l’IA à des bénéfices concrets : fiabilité, durabilité, sécurité. À l’inverse, lorsqu’elle est perçue comme un substitut humain, elle suscite la méfiance. Les marques doivent humaniser leur discours sur la technologie. Expliquer ce que fait l’IA, pourquoi elle le fait et surtout au service de qui. C’est une question de transparence mais aussi de pédagogie. Montrer que la machine ne remplace pas mais qu’elle assiste. L’IA effraie quand elle est abstraite, elle rassure quand elle est incarnée. Elle devient un sujet de confiance lorsqu’elle améliore la vie, pas lorsqu’elle l’automatise. Pour chaque marque, il faut narrer l’usage de l’IA de manière tangible et bénéfique pour le consommateur.

6. En 2025, les mentions d'authenticité dans les conversations avec les influenceurs ont augmenté de 66%. Avez-vous constaté cette tendance de recherche d’authenticité parmi les consommateurs ? Si oui, comment faites-vous pour y répondre ?

Nous vivons une époque où le mot “authenticité” est devenu central. Les publics se détournent des discours calibrés, des collaborations trop visibles, des contenus qui sonnent faux. Ce qu’ils recherchent, ce sont des voix singulières, des témoignages vrais, des histoires vécues. Je crois beaucoup à la micro-influence et à la slow influence : des partenariats durables, sincères qui privilégient la qualité du lien à la quantité de vues. Montrer les coulisses, les doutes, les essais, cela crée une connivence réelle. La transparence n’est plus un risque, c’est une attente. Même les mentions négatives, si elles sont traitées avec écoute et respect, participent à construire la crédibilité d’une marque. L’authenticité, c’est aussi accepter de ne pas tout maîtriser. Et c’est précisément cela qui inspire confiance

7. Le Baromètre des Tendances Social Media 2026 met en exergue que malgré le fait d’investir des budgets dans des campagnes avec des influenceurs, les annonceurs récoltent une part de mentions négatives qui est la plupart du temps supérieure aux positives (Par exemple, dans la finance, la part de négatif est de 40% contre 7% de positif). Dans la food, c’est 29% de négatif contre 8% de positif). Que vous inspirent ces chiffres ? Sont-ils à même de vous questionner sur vos orientations budgétaires ou sur votre stratégie ? Estimez-vous qu’il est rentable d’investir dans le marketing d’influence quand les réactions négatives sont largement supérieures aux positives ? Avez-vous des conseils et astuces pour juguler ces mentions négatives ?

Les chiffres peuvent inquiéter certains secteurs mais cela ne signifie pas que le marketing d’influence est inefficace, il doit simplement évoluer. Trop de collaborations sont encore perçues comme artificielles, sans cohérence entre l’influenceur, la marque et le message. Ce que nous observons, c’est qu’à mesure que les audiences mûrissent, elles exigent davantage de vérité. L’ère des posts parfaits et des partenariats éphémères touche à sa fin. Les consommateurs valorisent désormais les créateurs qui partagent une conviction avant un code promo. Les marques qui réussissent sont celles qui cultivent des relations dans la durée, qui choisissent des partenaires par affinité de valeurs, pas seulement pour leur portée. En privilégiant la cohérence entre le créateur, la marque et le message, on réduit la perception d’opportunisme. Investir dans l’influence reste pertinent à condition de le sortir du registre publicitaire. Il ne s’agit plus de louer une audience mais de co-construire une relation. L’enjeu n’est plus d’être visible mais d’être crédible. Et cette crédibilité naît de la cohérence : entre la parole du créateur, l’action de la marque et les attentes du public.  

Du bruit à la relation

Le Baromètre des Tendances Social Media 2026 révèle une transformation profonde : les marques qui réussiront demain seront celles qui écouteront avant de parler, comprendront avant d’agir, et créeront de la valeur avant de vendre. L’avenir de la communication n’est pas algorithmique, il est profondément humain.